Vous avez obtenu un jugement d'expulsion contre votre locataire, mais celui-ci refuse toujours de quitter le logement. Le commandement de quitter les lieux est l'étape obligatoire qui transforme cette décision de justice en réalité juridique. Sans ce document, délivré par huissier, vous ne pourrez pas procéder à l'expulsion effective. Comprendre cette procédure vous permet d'éviter les erreurs qui pourraient retarder votre récupération du bien de plusieurs mois supplémentaires.
Qu'est-ce que le Commandement de Quitter les Lieux ?
Le commandement de quitter les lieux est un acte d'huissier de justice qui notifie officiellement au locataire qu'il doit libérer le logement suite à un jugement d'expulsion. Ce document marque le passage de la décision théorique du tribunal à l'exécution concrète de l'expulsion.
Contrairement au commandement de payer qui précède l'assignation en justice, le commandement de quitter les lieux intervient après l'obtention du jugement. Il constitue la première étape de la phase d'exécution forcée. Sans ce commandement, le propriétaire ne peut pas solliciter le concours de la force publique pour procéder à l'expulsion physique du locataire.
Base légale et obligations de forme
L'article 61 de la loi du 9 juillet 1991 encadre strictement la délivrance de ce commandement. L'huissier doit respecter plusieurs obligations impératives :
- Délivrance par huissier de justice : Seul un officier ministériel habilité peut établir cet acte. Un simple courrier recommandé du propriétaire n'a aucune valeur légale et ne fait pas courir les délais.
- Mention du jugement : Le commandement doit contenir les références précises du jugement d'expulsion (date, juridiction, numéro de RG) et en reproduire le dispositif.
- Indication du délai pour quitter : Le document doit préciser explicitement la date limite à laquelle le locataire doit avoir libéré les lieux.
- Information sur les voies de recours : Le commandement doit mentionner les possibilités de saisir le juge de l'exécution en cas de contestation ou difficulté particulière.
Une erreur dans la rédaction ou la délivrance du commandement peut entraîner son annulation et nécessiter de recommencer la procédure, avec un délai supplémentaire de 2 à 4 mois.
Les Délais Légaux du Commandement de Quitter
Le délai accordé au locataire pour quitter le logement varie selon la période de l'année et la situation géographique. Ces délais sont d'ordre public : l'huissier ne peut pas les réduire, même avec l'accord du locataire.
Délai de principe : 2 mois minimum
En application de l'article 62-1 de la loi de 1991, le délai standard entre la délivrance du commandement et l'expiration du délai pour quitter est de 2 mois. Ce délai court à partir de la signification effective du commandement, et non de sa date de rédaction.
Exemple concret : Commandement signifié le 15 janvier 2025 → Le locataire doit avoir quitté au plus tard le 15 mars 2025 à minuit. À partir du 16 mars, le propriétaire peut demander le concours de la force publique.
Trêve hivernale : prolongation automatique
La trêve hivernale, qui s'étend du 1er novembre au 31 mars de chaque année, suspend l'exécution des expulsions. Si le délai de 2 mois expire pendant cette période, l'expulsion ne peut être réalisée qu'à partir du 1er avril.
| Date de signification | Expiration du délai (2 mois) | Date d'expulsion possible | Impact trêve |
|---|---|---|---|
| 15 août 2025 | 15 octobre 2025 | 15 octobre 2025 | Aucun |
| 15 septembre 2025 | 15 novembre 2025 | 1er avril 2026 | +4,5 mois |
| 15 janvier 2025 | 15 mars 2025 | 1er avril 2025 | +17 jours |
| 15 avril 2025 | 15 juin 2025 | 15 juin 2025 | Aucun |
L'impact de la trêve hivernale peut ainsi ajouter entre quelques jours et près de 5 mois au délai d'expulsion effectif. Pour minimiser ce retard, il est stratégiquement préférable de faire signifier le commandement avant la fin septembre ou d'attendre le début avril.
Délais spécifiques pour personnes vulnérables
Le juge de l'exécution peut accorder des délais supplémentaires allant jusqu'à 3 ans pour les personnes de bonne foi se trouvant dans une situation particulièrement difficile (article L. 412-3 du Code des procédures civiles d'exécution). Ces délais exceptionnels concernent principalement :
- Les personnes âgées de plus de 70 ans
- Les personnes en situation de handicap
- Les familles avec enfants mineurs en grande précarité
- Les personnes bénéficiant d'un relogement imminent par les services sociaux
Le locataire doit saisir le juge de l'exécution avant l'expiration du délai de 2 mois et apporter la preuve de sa situation (certificats médicaux, attestations de services sociaux, justificatifs de démarches de relogement).
Coût et Modalités Pratiques du Commandement
Tarif de l'huissier
Le coût du commandement de quitter les lieux est fixé par le tarif réglementé des huissiers de justice. En 2025, les frais se décomposent ainsi :
- Émolument fixe : 131,50 € HT (soit environ 157,80 € TTC)
- Frais de déplacement : Variables selon la distance (généralement 7 à 15 € HT)
- Frais divers : Copie exécutoire du jugement, timbres recommandés pour les copies (environ 20 à 30 €)
Le coût total se situe généralement entre 180 et 220 € TTC. Ces frais sont à la charge du locataire en vertu du principe de la condamnation aux dépens, mais le propriétaire doit les avancer. Ils s'ajoutent aux créances impayées réclamées au locataire.
Comment se déroule la signification
L'huissier doit respecter un protocole strict pour la délivrance du commandement :
1. Tentative de remise en main propre : L'huissier se présente au domicile du locataire pour lui remettre personnellement le commandement. Si le locataire est présent et accepte de recevoir l'acte, celui-ci est remis en main propre contre émargement.
2. En cas d'absence : Si le locataire est absent, l'huissier laisse un avis de passage et dépose l'acte soit à une personne présente au domicile (conjoint, colocataire majeur), soit en mairie. Un courrier recommandé est envoyé pour informer le locataire du dépôt.
3. En cas de refus : Si le locataire refuse de prendre l'acte, l'huissier procède à une signification à personne avec mention du refus. Le commandement est alors déposé sur place ou en mairie, et le délai court malgré le refus.
4. Domicile inconnu : Si le locataire a quitté le logement sans laisser d'adresse, l'huissier peut procéder à une signification par affichage à la porte du domicile et en mairie, après autorisation du procureur de la République.
Que Se Passe-t-il Après le Commandement ?
Scénario 1 : Le locataire quitte volontairement
Dans environ 40% des cas, le locataire libère effectivement le logement avant l'expiration du délai de 2 mois. Il doit restituer les clés et laisser le logement vide de tout bien mobilier et de toute personne.
Le propriétaire doit alors organiser un état des lieux de sortie contradictoire, idéalement réalisé par un huissier de justice pour éviter toute contestation ultérieure (coût : environ 150 à 200 € TTC). Cet état des lieux permet d'établir les éventuelles dégradations et de chiffrer le montant de la retenue sur le dépôt de garantie.
Bonne pratique : Même si le locataire quitte volontairement, conservez toutes les preuves de la libération effective (état des lieux, photos datées, témoignages). Elles peuvent être utiles si le locataire conteste ultérieurement avoir quitté le logement ou réclame des sommes indues.
Scénario 2 : Le locataire ne quitte pas
Si le locataire ne quitte pas volontairement, le propriétaire peut, dès le lendemain de l'expiration du délai, demander le concours de la force publique au préfet. Cette demande est formulée par l'huissier et déclenche la phase finale : l'expulsion physique avec l'assistance des forces de l'ordre.
Le délai moyen entre la demande de concours et l'expulsion effective est de 2 à 4 mois en région parisienne, et de 1 à 2 mois dans les autres départements. Pendant cette période, le locataire continue d'occuper le logement sans payer, ce qui aggrave le préjudice du propriétaire.
Timeline complète de la procédure
Voici une chronologie réaliste de la procédure d'expulsion, depuis le jugement jusqu'à la libération effective du logement (hors trêve hivernale) :
- J+0 : Jugement d'expulsion prononcé par le tribunal
- J+15 : Obtention de la grosse du jugement (copie exécutoire) par l'avocat
- J+30 : Signification du commandement de quitter les lieux par huissier
- J+90 : Expiration du délai de 2 mois pour quitter
- J+95 : Demande de concours de la force publique déposée en préfecture
- J+155 : Accord du préfet et fixation de la date d'expulsion (délai moyen de 60 jours)
- J+165 : Expulsion physique réalisée par huissier avec police
Au total, comptez entre 5 et 6 mois minimum entre le jugement et la récupération effective de votre bien, auxquels peuvent s'ajouter jusqu'à 5 mois si la trêve hivernale intervient.
Les Erreurs Fréquentes à Éviter
Erreur n°1 : Signifier le commandement trop tard
Certains propriétaires attendent plusieurs mois après le jugement pour faire signifier le commandement, par inertie ou par espoir que le locataire quitte volontairement. Chaque mois de retard est un mois de loyer impayé supplémentaire et retarde d'autant la récupération du bien.
Impact financier : Pour un loyer de 850 € mensuel, un retard de 3 mois dans la signification du commandement représente 2 550 € de pertes supplémentaires, plus les charges et l'impossibilité de relouer le bien.
Erreur n°2 : Tenter d'expulser avant l'expiration du délai
Certains propriétaires, exaspérés par la situation, tentent de récupérer le logement avant l'expiration du délai de 2 mois : changement des serrures, coupure des fluides, pressions diverses. Ces pratiques constituent des voies de fait ou expulsions illégales, sévèrement sanctionnées.
Sanctions encourues :
- Pénales : 3 ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende (article 226-4 du Code pénal)
- Civiles : Dommages-intérêts au locataire, annulation de la procédure d'expulsion, relogement du locataire aux frais du propriétaire
- Administratives : Amende jusqu'à 10 000 € pour une personne physique
Erreur n°3 : Négliger la vérification du jugement
Le commandement de quitter ne peut être délivré que si le jugement est définitif ou assorti de l'exécution provisoire. Si le locataire a fait appel et que le jugement n'était pas assorti de l'exécution provisoire, le commandement est prématuré et sera annulé.
L'huissier vérifie normalement ce point, mais il est prudent de s'assurer que :
- Le délai d'appel de 1 mois est expiré, ET le locataire n'a pas fait appel
- OU le jugement mentionne expressément l'exécution provisoire
- OU l'appel du locataire a été rejeté et le jugement confirmé
Erreur n°4 : Communiquer directement avec le locataire
Une fois le commandement signifié, toute communication directe entre le propriétaire et le locataire devient risquée. Une négociation mal menée peut être interprétée comme un accord amiable annulant la procédure d'expulsion.
Recommandation : Toute proposition de départ amiable ou d'accord sur les dettes doit passer par l'huissier ou l'avocat. Si un accord est trouvé, il doit être formalisé par écrit avec des conditions claires et des délais précis.
Cas Pratiques : Scénarios Réels d'Expulsion
Cas n°1 : Expulsion réussie en évitant la trêve
Situation : M. Petit, propriétaire à Marseille, obtient un jugement d'expulsion le 15 juin 2024 contre son locataire qui cumule 7 200 € d'impayés. Le locataire n'a pas fait appel.
Action : M. Petit mandate immédiatement son huissier qui signifie le commandement de quitter les lieux le 5 juillet 2024. Le délai de 2 mois expire le 5 septembre 2024.
Déroulement :
- Le locataire ne quitte pas volontairement
- Le 6 septembre, l'huissier dépose la demande de concours de la force publique
- Le préfet donne son accord le 25 octobre 2024
- L'expulsion physique est réalisée le 12 novembre 2024
Résultat : Le logement est libéré avant la trêve hivernale. M. Petit peut remettre le bien en état et le relouer dès janvier 2025. Durée totale : 5 mois entre le jugement et la récupération du bien.
| Poste | Montant |
|---|---|
| Impayés initiaux | 7 200 € |
| Loyers pendant procédure (5 mois × 900 €) | 4 500 € |
| Frais de procédure (jugement + commandement + expulsion) | 1 800 € |
| Remise en état du logement | 2 100 € |
| Coût total | 15 600 € |
| Nouveau locataire dès janvier 2025 | + 900 €/mois |
Cas n°2 : Retard stratégique coûteux
Situation : Mme Leroux, propriétaire à Lyon, obtient le même jugement le 15 juin 2024. Par peur du conflit, elle attend que son locataire quitte volontairement et ne fait signifier le commandement que le 20 septembre 2024.
Impact du retard :
- Le délai de 2 mois expire le 20 novembre 2024, en pleine trêve hivernale
- L'expulsion ne peut être réalisée qu'à partir du 1er avril 2025
- La demande de concours est déposée début avril 2025
- L'expulsion physique intervient finalement le 20 juin 2025
Résultat : Le logement est libéré 12 mois après le jugement, soit 7 mois de plus que M. Petit.
| Poste | Montant |
|---|---|
| Impayés initiaux | 7 200 € |
| Loyers pendant procédure (12 mois × 900 €) | 10 800 € |
| Frais de procédure | 1 800 € |
| Remise en état du logement (dégradations supplémentaires) | 3 400 € |
| Coût total | 23 200 € |
| Nouveau locataire seulement en août 2025 | + 900 €/mois |
Perte comparée à M. Petit : 7 600 € supplémentaires (7 mois de loyers perdus + dégradations accrues), soit une augmentation de 49% du coût total. Ce retard stratégique, motivé par l'espoir d'un départ amiable, a finalement coûté l'équivalent de 8 mois de loyer.
Cas n°3 : Locataire obtenant des délais
Situation : M. Dubois, propriétaire à Lille, fait signifier un commandement de quitter le 15 mars 2025 à Mme Martin, locataire de 68 ans avec deux enfants mineurs, qui cumule 5 400 € d'impayés.
Réaction du locataire : Mme Martin saisit le juge de l'exécution le 10 avril 2025 en sollicitant des délais de paiement. Elle apporte les justificatifs suivants :
- Perte d'emploi en janvier 2025 suite à un licenciement économique
- Inscription à Pôle Emploi et perception d'allocations depuis février
- Recherche active de relogement avec le CCAS de Lille
- Deux enfants scolarisés âgés de 9 et 12 ans
- Proposition de verser 300 € par mois pour apurer la dette
Décision du juge : Le juge de l'exécution, constatant la bonne foi de la locataire et ses démarches actives de relogement, accorde un délai de 6 mois supplémentaire jusqu'au 15 novembre 2025, sous condition de paiement mensuel de 300 € (dont 200 € pour la dette et 100 € pour l'occupation actuelle).
Conséquences pour M. Dubois :
- Récupération progressive de 1 800 € sur 6 mois (300 € × 6)
- Dette résiduelle au 15 novembre : 5 400 € - 1 200 € = 4 200 €
- Impossibilité d'expulser avant novembre 2025, puis impact de la trêve jusqu'en avril 2026
- Récupération effective du logement seulement en avril 2026, soit 13 mois après la signification du commandement
Ce cas illustre l'importance d'anticiper les délais exceptionnels que peuvent accorder les juges dans certaines situations sociales complexes. La bonne foi du locataire et ses efforts de régularisation ont pesé dans la balance.