Une procédure d'expulsion pour loyers impayés est un parcours juridique complexe, parsemé de pièges procéduraux qui peuvent invalider l'ensemble du dossier et obliger à tout recommencer depuis le début. Chaque année, des milliers de propriétaires voient leur demande d'expulsion rejetée par le tribunal non pas sur le fond (la dette existe bien), mais sur la forme (erreur procédurale). Ces rejets entraînent une perte de temps considérable (3 à 6 mois supplémentaires) et des frais d'huissier et d'avocat inutiles. Voici les 10 erreurs les plus fréquentes à éviter absolument.
Erreur N°1: Commandement de Payer Sans Clause Résolutoire Reproduite
La Faute Commise
Le commandement de payer doit obligatoirement reproduire intégralement la clause résolutoire du bail. Certains huissiers se contentent de mentionner "clause résolutoire insérée à l'article X du bail" ou reproduisent partiellement la clause. Cette omission ou reproduction partielle entraîne la nullité totale du commandement.
Les Conséquences
- Nullité du commandement de payer: Le délai de 2 mois n'a jamais couru
- Procédure judiciaire irrecevable: Le tribunal rejette l'assignation en expulsion
- Obligation de recommencer: Faire signifier un nouveau commandement conforme (délai supplémentaire: 2 mois minimum)
- Frais perdus: Premier commandement payé pour rien (150€ à 250€)
Comment Éviter Cette Erreur
Lors de la transmission du dossier à l'huissier, fournissez le bail complet avec un surlignage de la clause résolutoire. Vérifiez scrupuleusement le projet de commandement avant signification: la clause doit apparaître mot pour mot, sans résumé ni paraphrase. Si vous constatez l'erreur après signification, faites immédiatement signifier un nouveau commandement corrigé.
Jurisprudence: Cour de cassation, 3e civ., 6 juillet 2017, n°16-18.107: "La reproduction intégrale de la clause résolutoire constitue une formalité substantielle dont l'absence entraîne la nullité du commandement de payer."
Erreur N°2: Absence des Coordonnées du Fonds de Solidarité Logement (FSL)
La Faute Commise
Depuis la loi ALUR de 2014, le commandement de payer doit obligatoirement mentionner les coordonnées complètes du Fonds de Solidarité Logement (FSL) du département où se situe le logement. Cette mention permet au locataire de solliciter une aide financière d'urgence. L'oubli de cette mention, même de bonne foi, constitue un vice de forme substantiel.
Les Conséquences
- Nullité du commandement: Jurisprudence constante depuis 2015
- Délais rallongés de 2 mois: Nouveau commandement obligatoire
- Argument de défense du locataire: Si découvert pendant l'instance, le locataire peut demander l'annulation rétroactive de la procédure
Comment Éviter Cette Erreur
Avant de mandater l'huissier, recherchez les coordonnées exactes du FSL de votre département sur le site du conseil départemental. Transmettez ces informations à l'huissier avec la mention explicite: "À inclure obligatoirement dans le commandement de payer". Relisez le projet de commandement avant signification.
Les coordonnées doivent comporter: nom complet de l'organisme, adresse postale complète, numéro de téléphone, et si possible adresse email et horaires d'ouverture.
Erreur N°3: Montant Erroné des Impayés dans le Commandement
La Faute Commise
Le commandement de payer doit indiquer avec une précision absolue le montant total dû. Trois types d'erreurs fréquentes:
- Surévaluation: Réclamer plus que la dette réelle (exemple: inclure des charges non prévues au bail, majorer les pénalités de retard au-delà de 10%)
- Sous-évaluation: Oublier un mois d'impayé ou des charges
- Erreur de calcul: Total erroné malgré un décompte détaillé
Les Conséquences
- Surévaluation: Nullité totale du commandement (considéré comme abusif)
- Sous-évaluation: Commandement valable uniquement pour le montant indiqué, impossibilité de réclamer la différence ensuite
- Crédit du propriétaire entamé: Le tribunal peut considérer que le propriétaire manque de rigueur
Comment Éviter Cette Erreur
Établissez un tableau Excel détaillé mois par mois avec:
| Mois | Loyer | Charges | Total |
|---|---|---|---|
| Détail mois par mois avec références aux quittances | |||
Faites vérifier vos calculs par un tiers (comptable, avocat, ou collègue propriétaire). N'incluez que les sommes clairement stipulées au bail. Les pénalités de retard ne peuvent excéder 10% du loyer (plafonné par la loi).
Erreur N°4: Saisir le Tribunal Avant l'Expiration des 2 Mois
La Faute Commise
Le délai de 2 mois accordé au locataire par le commandement de payer est un délai d'ordre public, c'est-à-dire incompressible et intangible. Certains propriétaires impatients, voyant que le locataire ne paie manifestement pas, déposent l'assignation au tribunal au bout de 6 semaines, pensant gagner du temps. Cette précipitation est fatale.
Les Conséquences
- Irrecevabilité de la demande: Le tribunal rejette purement et simplement l'assignation
- Frais d'assignation perdus: 800€ à 1 500€ (huissier + avocat)
- Nouveau délai à attendre: Impossible de réassigner immédiatement, il faut attendre l'expiration réelle des 2 mois
- Renforcement de la défense du locataire: Argument supplémentaire pour démontrer que le propriétaire ne respecte pas la loi
Comment Éviter Cette Erreur
Notez précisément la date de signification du commandement de payer (indiquée sur le PV de signification remis par l'huissier). Calculez exactement l'expiration des 2 mois:
- Commandement signifié le 15 janvier → Délai expiré le 15 mars à 00h00
- L'assignation peut être déposée à partir du 16 mars (et non le 15 mars)
En pratique, attendez 2 mois et 5 jours pour éliminer tout risque de contestation sur le décompte des jours. Un calendrier électronique avec alerte est recommandé.
Erreur N°5: Assignation Non Conforme ou Incomplète
La Faute Commise
L'assignation en résiliation de bail et expulsion doit contenir des mentions obligatoires strictement définies par le Code de procédure civile. Les erreurs fréquentes:
- Absence de mention du délai de comparution (15 jours minimum avant l'audience)
- Oubli de joindre la copie du commandement de payer au dossier
- Absence de pièces justificatives essentielles (bail, quittances, relevés bancaires)
- Demandes contradictoires (demander à la fois l'expulsion et la résolution amiable)
- Mauvaise identification des parties (erreur sur nom/prénom du locataire)
Les Conséquences
- Irrecevabilité ou nullité de l'assignation: Procédure à recommencer depuis le début
- Renvoi à une audience ultérieure: Délais supplémentaires de 2 à 4 mois
- Frais de ré-assignation: 150€ à 300€ supplémentaires
Comment Éviter Cette Erreur
Si vous agissez sans avocat (possible pour les litiges inférieurs à 10 000€), utilisez un modèle d'assignation validé par un professionnel. Si vous prenez un avocat, vérifiez qu'il est spécialisé en droit immobilier (et non généraliste). Constituez un dossier complet avant de saisir le tribunal:
- Bail de location signé (toutes les pages, même les annexes)
- État des lieux d'entrée
- Toutes les quittances de loyer (payées ET impayées)
- Commandement de payer avec PV de signification
- Relevés bancaires prouvant les impayés
- Correspondances avec le locataire (mises en demeure, emails)
Erreur N°6: Ne Pas Notifier le Jugement dans les Délais
La Faute Commise
Une fois le jugement d'expulsion rendu en faveur du propriétaire, beaucoup pensent que "c'est gagné" et attendent passivement. Or, le jugement doit être notifié au locataire par huissier dans un délai raisonnable. Cette notification fait courir le délai d'appel du locataire (1 mois). Tant que le jugement n'est pas notifié, le délai d'appel ne court pas, et le jugement n'est pas exécutoire.
Les Conséquences
- Procédure bloquée indéfiniment: Impossible de faire signifier un commandement de quitter sans jugement exécutoire
- Risque d'appel sans limite de temps: Le locataire peut faire appel 6 mois, 1 an, voire 2 ans après le jugement
- Continuation des impayés: Pendant ce temps, le locataire occupe le logement sans payer
Comment Éviter Cette Erreur
Dès réception de l'expédition du jugement (document officiel délivré par le greffe du tribunal), mandatez immédiatement votre huissier pour notifier le jugement au locataire. Coût: 60€ à 120€. Cette notification doit intervenir dans les 15 jours suivant la réception du jugement.
Après notification, attendez l'expiration du délai d'appel (1 mois + 10 jours si le locataire ne réside pas à l'adresse de signification). Une fois ce délai expiré sans appel, le jugement devient définitif et vous pouvez passer à l'étape suivante.
Erreur N°7: Logement Non Conforme et Procédure d'Expulsion
La Faute Commise
Engager une procédure d'expulsion alors que le logement présente des non-conformités graves: DPE classé G avec interdiction de location, absence de diagnostic plomb ou amiante, logement indécent (surface habitable inférieure à 9m², hauteur sous plafond insuffisante, absence de système de chauffage), travaux promis non réalisés.
Les Conséquences
- Rejet pur et simple de la demande d'expulsion: Le tribunal considère que le propriétaire ne respecte pas ses obligations
- Condamnation du propriétaire: Obligation de réaliser les travaux + dommages et intérêts au locataire (2 000€ à 10 000€)
- Réduction ou suppression de la dette locative: Le tribunal peut considérer que les loyers n'étaient pas dus au vu de l'indécence du logement
- Interdiction de relouer: Jusqu'à mise en conformité (amende pénale: 50 000€)
Comment Éviter Cette Erreur
Avant d'engager toute procédure d'expulsion, faites un audit de conformité de votre logement:
- Vérifiez la validité et la classe du DPE (interdit de louer F et G depuis 2025)
- Contrôlez tous les diagnostics obligatoires (plomb, amiante, gaz, électricité, ERP, termites)
- Assurez-vous que le logement respecte les critères de décence (surface, chauffage, étanchéité, aération)
- Si des travaux ont été promis au locataire (par écrit ou oralement avec témoin), réalisez-les avant d'engager la procédure
Si votre logement présente des défauts, régularisez d'abord la situation, quitte à proposer au locataire une réduction temporaire de loyer pendant les travaux. Un logement conforme est un prérequis absolu pour obtenir l'expulsion.
Erreur N°8: Expulser Pendant la Trêve Hivernale Sans Exception
La Faute Commise
Demander l'intervention de la force publique pour une expulsion physique entre le 1er novembre et le 31 mars (trêve hivernale), sans justifier d'une exception légale. Certains propriétaires pensent qu'ayant obtenu le jugement, ils peuvent expulser à tout moment.
Les Conséquences
- Refus de concours de la force publique: Le préfet rejette systématiquement la demande
- Expulsion reportée de plusieurs mois: Obligation d'attendre le 1er avril
- Infraction pénale en cas d'expulsion forcée: Si le propriétaire expulse lui-même le locataire (changement de serrures, coupure d'eau/électricité): 3 ans d'emprisonnement + 30 000€ d'amende
Les Exceptions Légales à la Trêve Hivernale
L'expulsion reste possible pendant la trêve uniquement dans ces cas limitatifs:
- Relogement assuré: Le locataire dispose d'un logement décent et correspondant à ses besoins (décision de justice obligatoire)
- Squat: Occupation sans droit ni titre (pas de bail, entrée par effraction)
- Locaux professionnels ou commerciaux: La trêve ne s'applique pas aux baux commerciaux
Comment Éviter Cette Erreur
Planifiez votre procédure en tenant compte de la trêve hivernale. Stratégie optimale:
- Commandement de payer signifié en janvier → Délai de 2 mois expiré fin mars
- Assignation en avril → Jugement en juillet-septembre
- Commandement de quitter en octobre → Délai de 2 mois expiré fin décembre
- Demande de concours force publique en janvier → Expulsion possible dès avril suivant
Si le jugement intervient en cours de trêve hivernale, ne demandez pas l'expulsion avant le 1er avril. Utilisez ce temps pour négocier un départ amiable avec le locataire (indemnité de départ, abandon de créance partielle).
Erreur N°9: Reprendre Contact Amiable Après Signification du Commandement
La Faute Commise
Après avoir fait signifier un commandement de payer, certains propriétaires reprennent contact avec le locataire pour négocier un échéancier ou acceptent un paiement partiel sans formalisme. Ces échanges amiables, s'ils ne sont pas correctement formalisés par écrit, peuvent être interprétés comme une renonciation implicite à la clause résolutoire.
Les Conséquences
- Perte du bénéfice du commandement: Le tribunal peut considérer que le propriétaire a renoncé à se prévaloir de la clause résolutoire
- Obligation de recommencer la procédure: Nouveau commandement obligatoire si les paiements s'arrêtent à nouveau
- Paiements partiels non déductibles: Les sommes versées peuvent ne pas être imputées sur la dette principale
Comment Éviter Cette Erreur
Si vous souhaitez accepter un échéancier de paiement après signification du commandement de payer, formalisez impérativement cet accord par écrit avec les mentions suivantes:
- Reconnaissance par le locataire de la dette totale (montant précis)
- Calendrier de paiement détaillé (montants et dates)
- Clause expresse: "En cas de défaillance sur une seule échéance, l'intégralité de la dette redevient immédiatement exigible et le propriétaire pourra reprendre la procédure sans nouveau commandement"
- Maintien explicite du bénéfice du commandement de payer
- Signature des deux parties (propriétaire et locataire)
Si le locataire envoie un paiement partiel sans accord préalable, encaissez-le mais précisez par courrier recommandé que cela ne vaut pas renonciation à la procédure en cours. Refuser un paiement partiel est juridiquement risqué, mais l'accepter sans réserves l'est tout autant.
Erreur N°10: Changer les Serrures Avant Expulsion Officielle
La Faute Commise
Face à un locataire qui ne paie plus, certains propriétaires exaspérés décident de "se faire justice eux-mêmes": changement des serrures pendant l'absence du locataire, coupure de l'eau ou de l'électricité, retrait des portes, entreposage des affaires du locataire dans la rue. Ces pratiques, aussi tentantes soient-elles, constituent des infractions pénales graves.
Les Conséquences
- Infraction pénale: Délit de violation de domicile (article 226-4 du Code pénal): jusqu'à 3 ans d'emprisonnement + 30 000€ d'amende
- Expulsion immédiate annulée: Même avec un jugement favorable, l'expulsion devient impossible
- Condamnation civile du propriétaire: Dommages et intérêts au locataire (5 000€ à 20 000€ selon la jurisprudence)
- Remise en état immédiate: Obligation de rétablir le locataire dans ses droits (réinstallation, remplacement des serrures aux frais du propriétaire)
- Perte totale de la créance: Le tribunal peut considérer que le comportement du propriétaire efface la dette locative
Comment Éviter Cette Erreur
Il n'existe qu'une seule façon légale d'expulser un locataire: obtenir un jugement d'expulsion définitif, puis faire intervenir un huissier de justice accompagné de la force publique (police ou gendarmerie) après obtention du concours de la force publique délivré par le préfet.
Toute autre méthode est illégale. Si le locataire a abandonné le logement et que vous n'êtes pas certain qu'il est parti définitivement, faites constater l'abandon par huissier (constat d'abandon), attendez 2 mois, puis faites une requête au tribunal pour constater l'abandon et autoriser la reprise du logement.
La patience est la clé: aussi longue et frustrante que soit la procédure légale (6 à 18 mois), c'est la seule voie qui protège le propriétaire de poursuites pénales et garantit la récupération du logement sans risque juridique.
Cas Réel: Procédure Annulée pour Erreur de Forme
Mme Fontaine, propriétaire d'un T2 à Marseille, a engagé en septembre 2024 une procédure d'expulsion contre son locataire (4 mois d'impayés, soit 3 200€). Le commandement de payer a été signifié le 20 septembre par un huissier.
Première erreur: Le commandement ne reproduisait pas intégralement la clause résolutoire, mais seulement une référence ("clause insérée à l'article 12 du bail").
Deuxième erreur: Mme Fontaine, pressée, a fait déposer l'assignation au tribunal le 15 novembre, soit 56 jours après le commandement (au lieu de 60 jours minimum).
Lors de l'audience du 12 janvier 2025, l'avocat du locataire a soulevé ces deux irrégularités. Le tribunal a rendu son jugement le 8 février:
- Nullité du commandement de payer: Absence de reproduction intégrale de la clause résolutoire
- Irrecevabilité de la demande: Assignation déposée avant expiration des 2 mois légaux
- Demande d'expulsion rejetée
- Mme Fontaine condamnée aux dépens: 850€ de frais de justice à rembourser au locataire
Bilan: Mme Fontaine a dû recommencer toute la procédure depuis le début:
- Nouveau commandement de payer signifié le 20 février 2025 (180€)
- Délai de 2 mois: expiration le 20 avril
- Nouvelle assignation déposée le 25 avril (1 400€)
- Audience fixée au 15 juillet 2025
Résultat: 5 mois de perdus, 2 430€ de frais inutiles (premier commandement + première assignation + condamnation aux dépens), et 5 mois de loyers impayés supplémentaires (4 000€). Total de la perte due aux erreurs de procédure: 6 430€.
Si Mme Fontaine avait fait vérifier le commandement et attendu 2 jours de plus, elle aurait obtenu son jugement d'expulsion en février 2025 au lieu de juillet 2025.
Checklist Anti-Erreurs: Les 15 Points de Contrôle Obligatoires
Avant chaque étape de la procédure, vérifiez systématiquement ces points:
Avant Commandement de Payer
- ☐ Le bail contient-il une clause résolutoire valide?
- ☐ Le logement est-il conforme (DPE, diagnostics, décence)?
- ☐ Le décompte des impayés est-il exact au centime près?
- ☐ Les coordonnées du FSL du département sont-elles connues?
Vérification du Projet de Commandement
- ☐ La clause résolutoire est-elle reproduite intégralement (mot pour mot)?
- ☐ Les coordonnées du FSL sont-elles mentionnées (nom, adresse, téléphone)?
- ☐ Le montant réclamé correspond-il exactement au décompte?
- ☐ Le délai de 2 mois est-il clairement indiqué?
Avant Assignation
- ☐ Les 2 mois du commandement sont-ils réellement expirés (date exacte)?
- ☐ Tous les justificatifs sont-ils rassemblés (bail, quittances, commandement)?
- ☐ L'assignation mentionne-t-elle le délai de comparution minimum (15 jours)?
- ☐ L'huissier est-il territorialement compétent?
Après Jugement
- ☐ Le jugement a-t-il été notifié au locataire par huissier dans les 15 jours?
- ☐ Le délai d'appel est-il expiré (1 mois + 10 jours)?
- ☐ Le commandement de quitter a-t-il été signifié après expiration du délai d'appel?