Votre locataire commercial accumule 4 mois de loyers impayés soit 20 000 euros de dette. Sa boutique est fermée depuis 2 mois et il ne répond plus à vos appels. Contrairement aux baux d'habitation qui bénéficient de nombreuses protections et de délais étendus, les baux commerciaux permettent une expulsion plus rapide et plus ferme. Pas de trêve hivernale, pas de délais de grâce systématiques, et une clause résolutoire souvent intégrée au bail. Vous pouvez récupérer votre local commercial en 4 à 8 mois au lieu de 12 à 24 mois pour un logement. Mais les enjeux financiers sont différents, les procédures spécifiques, et les erreurs peuvent coûter très cher. Comprendre les particularités du bail commercial est essentiel pour agir vite et protéger vos intérêts.

Différences Fondamentales Entre Bail Commercial et Bail d'Habitation

Le bail commercial (régi par le Code de commerce, articles L145-1 et suivants) diffère profondément du bail d'habitation (régi par la loi du 6 juillet 1989). Ces différences impactent directement la procédure d'expulsion.

Tableau comparatif des protections

Critère Bail d'habitation Bail commercial
Trêve hivernale Oui (1er nov - 31 mars) Non - Expulsion possible toute l'année
Délais de grâce Systématiques (3-24 mois) Rares et courts (0-6 mois max)
Obligation de relogement Oui pour personnes protégées Non - Jamais
Clause résolutoire Obligatoire mais encadrée Facultative mais très efficace
Durée procédure moyenne 12-24 mois 4-8 mois
Tribunal compétent Tribunal judiciaire Tribunal judiciaire (pôle commercial)

Principe directeur : Liberté contractuelle

Contrairement aux baux d'habitation fortement protecteurs du locataire, les baux commerciaux reposent sur le principe de liberté contractuelle entre professionnels. Le juge intervient moins pour protéger le locataire commercial, considéré comme un professionnel averti capable de négocier et de respecter ses engagements.

Motifs d'Expulsion Pour Un Bail Commercial

Motif 1 : Non-paiement des loyers (le plus fréquent)

Le non-paiement total ou partiel du loyer est le motif principal d'expulsion. Contrairement aux baux d'habitation où il faut généralement 2 mois d'impayés, un seul mois d'impayé peut suffire pour un bail commercial si la clause résolutoire le prévoit.

Éléments inclus dans le loyer :

Un seul euro d'impayé peut techniquement déclencher la clause résolutoire, mais les juges apprécient la proportionnalité. Un impayé de 50 euros sur un loyer de 5 000 euros sera difficilement considéré comme justifiant une résiliation.

Motif 2 : Non-paiement des charges et taxes

Le non-paiement des charges récupérables ou de la taxe foncière (si elle est contractuellement à la charge du locataire) constitue un motif d'expulsion distinct du non-paiement du loyer.

Motif 3 : Non-exploitation du fonds de commerce (clause d'exploitation)

La plupart des baux commerciaux contiennent une clause obligeant le locataire à exploiter effectivement le fonds de commerce. La fermeture prolongée du commerce (généralement plus de 3 mois) sans justification peut entraîner la résiliation du bail.

Exceptions tolérées :

Motif 4 : Sous-location ou cession non autorisée

Le locataire commercial ne peut pas sous-louer ou céder son bail sans l'accord écrit préalable du propriétaire, sauf disposition contraire du bail. Toute sous-location non autorisée justifie la résiliation du bail.

Motif 5 : Changement d'activité non autorisé

Le bail commercial précise généralement l'activité autorisée (ex : "commerce de prêt-à-porter féminin"). Tout changement substantiel d'activité sans l'accord du propriétaire (ex : transformer la boutique en restaurant) peut justifier la résiliation.

Procédure d'Expulsion Avec Clause Résolutoire

La clause résolutoire est quasi-systématique dans les baux commerciaux. Elle permet d'accélérer considérablement la procédure d'expulsion.

Étape 1 : Vérification de la clause résolutoire

Relisez attentivement votre bail commercial et identifiez la clause résolutoire. Elle se trouve généralement dans les articles relatifs aux "obligations du preneur" ou aux "cas de résiliation".

Exemple type de clause résolutoire :

"À défaut de paiement à son échéance d'un seul terme de loyer ou de charges, ou en cas de non-respect de l'une quelconque des obligations du présent bail, et un mois après un commandement de payer ou de respecter ladite obligation demeuré infructueux, le présent bail sera résilié de plein droit si bon semble au bailleur, sans qu'il soit besoin de remplir aucune formalité judiciaire."

Attention aux clauses mal rédigées : Si la clause résolutoire ne mentionne pas explicitement le "commandement de payer" ou le délai d'un mois, elle peut être invalidée par le juge. Dans ce cas, vous devrez passer par la procédure classique (plus longue).

Étape 2 : Commandement de payer avec sommation de respecter la clause résolutoire

Dès le premier jour d'impayé (généralement le 6 ou le 8 du mois suivant l'échéance), vous pouvez faire délivrer un commandement de payer par huissier.

Mentions obligatoires du commandement :

Coût : 150 à 300 euros selon le montant de la créance

Délai : 2 à 5 jours pour la délivrance du commandement

Étape 3 : Délai d'un mois et acquisition de la résiliation

Après la délivrance du commandement, le locataire dispose d'un délai d'un mois pour régulariser (payer l'intégralité de la dette).

Attention : Le délai d'un mois est incompressible

À l'expiration du délai d'un mois : Le bail est résilié de plein droit, automatiquement, sans qu'aucune formalité judiciaire ne soit nécessaire. Le locataire n'a plus aucun droit d'occupation.

Étape 4 : Constat de la résiliation et commandement de quitter les lieux

Une fois le délai d'un mois expiré sans paiement, faites délivrer un commandement de quitter les lieux.

Contenu du commandement de quitter :

Délai : Le locataire dispose de 2 mois minimum pour quitter les lieux (délai légal incompressible pour les baux commerciaux, article L145-17 du Code de commerce).

Coût : 150 à 250 euros

Étape 5 : Saisine du juge de l'exécution pour expulsion forcée

Si le locataire refuse de quitter les lieux après les 2 mois, vous devez saisir le juge de l'exécution (et non le tribunal de commerce) pour obtenir l'autorisation d'expulser.

Assignation en expulsion :

Coût avocat : 1 500 à 3 000 euros selon la complexité

Étape 6 : Expulsion effective avec concours de la force publique

Une fois l'ordonnance d'expulsion obtenue, l'huissier procède à l'expulsion :

Coût expulsion : 800 à 3 000 euros selon le volume de matériel à déménager (stock de marchandises, matériel professionnel, agencements)

Procédure Sans Clause Résolutoire (ou clause invalide)

Si votre bail commercial ne contient pas de clause résolutoire, ou si celle-ci est mal rédigée et invalidée par le juge, vous devez passer par la procédure classique de résiliation judiciaire.

Étapes de la procédure classique

1. Commandement de payer simple (sans clause résolutoire)

2. Mise en demeure supplémentaire (recommandée)

3. Assignation au tribunal judiciaire en résiliation de bail

4. Jugement de résiliation

5. Expulsion forcée

Durée totale : 8 à 18 mois (contre 4 à 8 mois avec clause résolutoire)

Spécificités et Pièges à Éviter

Piège 1 : Accepter un paiement partiel après le commandement de payer

Si vous acceptez un paiement partiel après l'expiration du délai d'un mois du commandement de payer, le juge peut considérer que vous renoncez à la clause résolutoire et que le bail continue.

Règle : Pendant le délai d'un mois, acceptez tout paiement (même partiel) car cela stoppe la procédure. Après le délai d'un mois, refusez tout paiement et continuez la procédure d'expulsion.

Cas pratique (Lyon, 2024) : Bailleur délivre un commandement de payer pour 12 000 euros d'impayés le 5 septembre. Le 20 octobre (après le délai d'un mois), le locataire paie 5 000 euros. Le bailleur encaisse le chèque. Le juge considère que le bailleur a renoncé à la clause résolutoire en acceptant le paiement partiel. Le bail continue, le bailleur doit recommencer toute la procédure pour les 7 000 euros restants.

Piège 2 : Erreur dans le montant du commandement de payer

Le commandement de payer doit mentionner le montant exact de la créance. Une erreur de quelques euros peut invalider toute la procédure.

Précautions :

Piège 3 : Oublier les charges et taxes dans le commandement

Si vous ne mentionnez que le loyer de base dans le commandement de payer mais oubliez les charges, vous ne pourrez pas expulser pour non-paiement des charges. Vous devrez faire un nouveau commandement spécifique pour les charges.

Piège 4 : Négliger le droit au renouvellement du bail

Les baux commerciaux confèrent au locataire un droit au renouvellement (propriété commerciale) après 3 ans d'exploitation. Ce droit subsiste tant que le bail n'est pas résilié.

Attention : Même si le bail arrive à échéance (ex : bail de 9 ans expiré), le locataire peut demander le renouvellement. Vous ne pouvez refuser le renouvellement que pour des motifs graves (construction, démolition, motif légitime et sérieux) et devrez verser une indemnité d'éviction (souvent très élevée : 50 000 à 500 000 euros selon le fonds de commerce).

L'expulsion pour loyers impayés permet d'éviter le droit au renouvellement et l'indemnité d'éviction.

Particularités Selon le Type de Bail Commercial

Bail dérogatoire (bail de courte durée)

Le bail dérogatoire (durée maximale de 3 ans non renouvelable) ne confère pas de droit au renouvellement. À l'expiration du bail, le locataire doit partir sans indemnité.

Expulsion pour impayés : Procédure identique au bail 3-6-9, mais avantage : pas de risque de demande de renouvellement.

Bail précaire

Le bail précaire (justifié par une raison objective comme des travaux de démolition prévus) a une durée déterminée courte (6 mois à 2 ans). Aucun droit au renouvellement.

Expulsion pour impayés : Clause résolutoire applicable, expulsion rapide.

Bail professionnel (professions libérales)

Le bail professionnel (médecin, avocat, architecte, etc.) n'est pas un bail commercial stricto sensu. Il est régi par l'article 57A de la loi du 6 juillet 1989.

Procédure d'expulsion : Similaire au bail d'habitation (trêve hivernale applicable, délais de grâce fréquents). Plus protecteur pour le locataire que le bail commercial pur.

Coûts et Durées Comparés

Type de procédure Durée totale Coût total
Expulsion avec clause résolutoire (départ volontaire) 4-6 mois 500 - 1 000 €
Expulsion avec clause résolutoire (expulsion forcée) 6-10 mois 2 500 - 5 000 €
Expulsion sans clause résolutoire (résiliation judiciaire) 10-18 mois 3 500 - 7 000 €
Expulsion avec appel du locataire 18-30 mois 5 000 - 10 000 €

FAQ : Vos questions les plus fréquentes

Non. La trêve hivernale (1er novembre - 31 mars) ne s'applique qu'aux locaux d'habitation. Un locataire commercial peut donc être expulsé en plein hiver, y compris en décembre ou janvier. Cette absence de trêve hivernale est un avantage majeur pour les bailleurs commerciaux.

Oui, si votre bail contient une clause d'exploitation obligeant le locataire à exploiter effectivement le fonds de commerce. La fermeture prolongée (généralement plus de 3 mois consécutifs sans justification) constitue un manquement contractuel justifiant la résiliation du bail via la clause résolutoire, même si les loyers sont payés. Vous devrez prouver la fermeture effective (constats d'huissier, témoignages de voisins).

Oui, mais beaucoup plus rarement que pour les baux d'habitation. Le juge peut accorder des délais de grâce (article 1343-5 du Code civil) de 0 à 6 mois maximum, en tenant compte de la situation du locataire et des circonstances. Ces délais sont exceptionnels et généralement courts (2-3 mois) car le locataire commercial est considéré comme un professionnel averti qui doit respecter ses engagements.

Si le locataire est placé en redressement ou liquidation judiciaire, la procédure d'expulsion est suspendue temporairement. L'administrateur judiciaire ou le liquidateur dispose d'un délai pour décider de poursuivre ou de résilier le bail. En cas de résiliation, vous devrez déclarer votre créance (loyers impayés) au passif de la procédure collective. En pratique, vous récupérerez peu ou rien (généralement 5 à 20% de la créance).

Oui. Si le bail commercial comporte une caution solidaire (personne physique ou morale qui se porte garante du paiement des loyers), vous pouvez actionner la caution dès le premier impayé, en parallèle de la procédure d'expulsion. Envoyez une mise en demeure à la caution de payer les loyers impayés. Si la caution refuse, vous pouvez l'assigner en paiement. L'action contre la caution est indépendante de l'action en expulsion contre le locataire.

Plusieurs options : 1) Actionner la caution solidaire si elle existe, 2) Saisir les comptes bancaires du locataire, 3) Faire vendre le fonds de commerce du locataire si vous avez un privilège du bailleur, 4) Engager une procédure de recouvrement classique (saisie-attribution, saisie-vente). En pratique, si le locataire a fermé boutique et est en faillite, vous récupérerez rarement l'intégralité des loyers impayés. D'où l'importance d'agir vite pour limiter l'accumulation de la dette.

Oui, vous pouvez conserver le dépôt de garantie (généralement 3 mois de loyer pour un bail commercial) pour compenser les loyers impayés. Mais attention : vous devez établir un décompte précis des sommes retenues et restituer le solde éventuel au locataire. Le dépôt de garantie ne peut servir qu'à compenser les impayés, pas les dégradations ou le coût de la procédure (sauf clause contractuelle spécifique).