Vous louez un T4 à trois colocataires. L'un d'eux ne paie plus sa part de loyer depuis 4 mois mais les deux autres continuent de payer. Pouvez-vous expulser uniquement le mauvais payeur ? Ou devez-vous expulser les trois ? Si vous expulsez tous les colocataires, perdez-vous les loyers des deux bons payeurs ? La colocation crée des situations juridiques complexes où les responsabilités s'entremêlent. Selon que vous avez signé un bail unique avec clause de solidarité ou des baux séparés, selon que les colocataires sont en couple ou non, les procédures et les conséquences diffèrent radicalement. Comprendre ces mécanismes est essentiel pour agir efficacement sans perdre vos locataires fiables ni compromettre vos revenus locatifs.

Les 3 Types de Colocation : Conséquences Juridiques

La procédure d'expulsion dépend intégralement du type de bail signé. Il existe trois configurations principales, aux conséquences radicalement différentes.

Type 1 : Bail unique avec clause de solidarité (le plus fréquent)

Un seul bail est signé par tous les colocataires avec une clause de solidarité stipulant : "Les preneurs sont solidairement responsables du paiement du loyer et des charges".

Conséquences de la solidarité :

Avantage pour le bailleur : Sécurité maximale - si un colocataire part ou ne paie plus, les autres doivent compenser.

Inconvénient : Impossible d'expulser seulement le mauvais payeur - vous risquez de perdre aussi les bons payeurs.

Type 2 : Baux séparés individuels (rare)

Chaque colocataire signe un bail distinct pour sa chambre ou sa part du logement. Le loyer de chacun est précisé séparément (ex : Colocataire A : 600 euros/mois pour la chambre 1, Colocataire B : 600 euros/mois pour la chambre 2, etc.).

Conséquences :

Avantage pour le bailleur : Flexibilité - expulsion ciblée du seul mauvais payeur.

Inconvénient : Risque financier - si un colocataire ne paie pas, vous perdez directement sa part de loyer sans recours contre les autres.

Type 3 : Couples pacsés ou mariés

Lorsque deux colocataires sont pacsés ou mariés et signent ensemble le bail, ils bénéficient automatiquement de la solidarité conjugale (article 220 du Code civil), indépendamment de la clause de solidarité du bail.

Conséquences :

Procédure d'Expulsion Selon le Type de Bail

Cas 1 : Bail unique solidaire - Expulsion de tous les colocataires

Situation : Un bail unique avec clause de solidarité, 3 colocataires (A, B, C), loyer total 1 800 euros. A ne paie plus sa part de 600 euros depuis 3 mois. B et C continuent de payer leur part (1 200 euros sur 1 800 euros).

Procédure obligatoire :

Étape 1 : Commandement de payer adressé à tous les colocataires

Étape 2 : Assignation de tous les colocataires

Étape 3 : Jugement d'expulsion collective

Recours de B et C :

Stratégie alternative pour le bailleur : Proposer à B et C de signer un nouveau bail sans A, en échange de l'abandon de la procédure d'expulsion. Conditions : B et C doivent payer immédiatement les 5 400 euros dus (quitte à se retourner contre A ensuite) et accepter un nouveau loyer réduit proportionnel (1 200 euros au lieu de 1 800 euros) ou trouver un nouveau colocataire rapidement.

Cas 2 : Baux séparés - Expulsion individuelle

Situation : Trois baux séparés, A paie 600 euros, B paie 600 euros, C paie 600 euros. A ne paie plus depuis 3 mois (1 800 euros de dette). B et C continuent de payer.

Procédure ciblée :

Étape 1 : Commandement de payer uniquement à A

Étape 2 : Assignation de A seul

Étape 3 : Jugement d'expulsion de A

Difficulté pratique : Si les colocataires partagent les pièces communes (cuisine, salon, salle de bain), comment expulser A physiquement tout en laissant B et C ? L'huissier expulse A de sa chambre et lui interdit l'accès aux parties communes. A doit restituer ses clés. En pratique, cela peut créer des tensions et B et C peuvent préférer partir également.

Cas 3 : Départ volontaire d'un colocataire - Qui reste responsable ?

Situation : Bail unique solidaire avec A, B et C. A décide de partir volontairement en juin (rupture amiable, déménagement). B et C restent et continuent de payer.

Question juridique : A reste-t-il solidaire du loyer après son départ ?

Réponse : OUI, tant que le bail n'est pas officiellement modifié.

Conséquences :

Stratégie de A : Avant de quitter le logement, A doit négocier avec vous (le bailleur) pour être libéré du bail. En contrepartie, il peut proposer de trouver lui-même un nouveau colocataire solvable pour le remplacer.

Stratégie du bailleur :

Situations Complexes et Solutions

Situation 1 : Un colocataire part, les autres ne trouvent pas de remplaçant

Contexte : Bail solidaire de 1 800 euros avec A, B et C. A quitte en mars. B et C cherchent un remplaçant mais ne trouvent personne. En attendant, ils ne paient que 1 200 euros (leur part à deux) au lieu de 1 800 euros.

Vos options :

Option 1 : Poursuivre A en solidarité

Option 2 : Accepter un avenant au bail réduisant le loyer

Option 3 : Résilier le bail et expulser tout le monde

Situation 2 : Colocataires en conflit - L'un veut expulser l'autre

Contexte : Bail solidaire avec A et B. A paie régulièrement, B ne paie plus depuis 4 mois. A vous contacte en demandant d'expulser B car "il ne peut plus payer pour deux".

Position juridique :

A ne peut pas vous forcer à expulser uniquement B. En droit, vous avez deux choix :

Solution négociée :

Risque : Cette solution nécessite la coopération de A et un timing précis. Si A change d'avis ou trouve un autre logement entre-temps, vous vous retrouvez avec un logement vide.

Situation 3 : Clause de solidarité uniquement pour certains colocataires

Contexte : Bail avec 4 colocataires. Clause : "A et B sont solidaires entre eux pour leur part de loyer (1 200 euros). C et D sont solidaires entre eux pour leur part de loyer (1 200 euros). A-B et C-D ne sont pas solidaires entre groupes."

Conséquences :

Cette configuration (rare) offre une flexibilité intermédiaire entre bail unique solidaire global et baux séparés.

Erreurs Fréquentes à Éviter

Erreur 1 : Accepter le départ d'un colocataire sans avenant

Le colocataire A vous informe qu'il quitte le logement. Vous ne réagissez pas et continuez à accepter les loyers de B et C. Juridiquement, A reste solidaire et peut être poursuivi pour impayés même après son départ. Mais en pratique, A peut argumenter que vous avez tacitement accepté son départ en continuant à accepter les loyers de B et C sans réagir.

Solution : Dès qu'un colocataire annonce son départ, exigez soit un avenant au bail libérant le partant et ajustant le loyer, soit la présentation d'un nouveau colocataire acceptable. Formalisez TOUT par écrit.

Erreur 2 : Assigner un seul colocataire sur un bail solidaire

Vous assignez uniquement A (le non-payeur) alors que le bail est solidaire avec B et C. Le tribunal annulera votre assignation pour défaut de mise en cause de tous les colocataires solidaires. Vous perdez 6 mois et devez recommencer en assignant A, B et C ensemble.

Erreur 3 : Croire que la clause de solidarité s'éteint automatiquement

Un colocataire part mais reste dans le bail. Vous pensez qu'après 6 mois de départ, il n'est plus solidaire. FAUX. La solidarité dure tant que le bail existe, même si le colocataire n'habite plus. Seul un avenant écrit ou une résiliation du bail peut mettre fin à la solidarité.

Erreur 4 : Accepter un paiement partiel de l'un des colocataires après le commandement de payer

Vous délivrez un commandement de payer pour 5 400 euros à A, B et C solidaires. B vous paie 3 000 euros après le délai de 2 mois. Vous encaissez le chèque. Le juge peut considérer que vous renoncez à la clause résolutoire en acceptant un paiement partiel tardif. Le bail continue, et vous devez recommencer la procédure pour les 2 400 euros restants.

Règle : Pendant le délai du commandement de payer, acceptez tout paiement (total ou partiel). Après le délai, refusez tout paiement partiel et exigez le solde total pour éviter l'activation de la clause résolutoire.

Rédiger un Bail de Colocation Protecteur

Pour éviter les complications, rédigez dès l'origine un bail de colocation qui protège vos intérêts.

Clause de solidarité renforcée

"Les preneurs sont solidairement et indivisiblement responsables du paiement de l'intégralité du loyer et des charges, sans qu'il soit besoin de diviser ou de discuter leur part respective. Le bailleur peut poursuivre l'un quelconque des preneurs pour le paiement de la totalité des sommes dues. La solidarité persiste après le départ de l'un des preneurs jusqu'à la signature d'un avenant au bail libérant expressément le preneur partant."

Clause de remplacement de colocataire

"En cas de départ volontaire de l'un des preneurs, celui-ci reste solidaire du paiement du loyer et des charges jusqu'à ce qu'il présente au bailleur un colocataire de remplacement acceptable. Le bailleur s'engage à examiner le dossier du colocataire proposé dans un délai de 15 jours et à ne pas refuser ce colocataire sans motif légitime et sérieux (ressources insuffisantes, garanties insuffisantes, antécédents de loyers impayés). Si le colocataire proposé est refusé, le preneur partant reste solidaire jusqu'à ce qu'un colocataire acceptable soit trouvé."

Clause de préavis spécifique pour la colocation

"Chaque preneur souhaitant quitter le logement doit respecter un préavis de 3 mois (ou 1 mois en zone tendue). Ce préavis ne libère le preneur partant de sa solidarité que si, à l'expiration du préavis, un colocataire de remplacement acceptable a été présenté et accepté par le bailleur. À défaut, le preneur partant reste solidaire jusqu'au remplacement effectif ou jusqu'à la fin du bail."

FAQ : Vos questions les plus fréquentes

Non, vous ne pouvez pas augmenter le loyer global au-delà de la révision annuelle légale (indice IRL), même si un colocataire part. En revanche, si vous acceptez de libérer le colocataire partant et de signer un avenant au bail, vous pouvez proposer un nouveau loyer (généralement réduit proportionnellement au nombre de colocataires restants). Si les colocataires refusent le nouveau loyer, vous pouvez refuser de libérer le colocataire partant de sa solidarité.

Oui. Si un colocataire cause des troubles de voisinage graves et répétés (nuisances sonores, dégradations, violences), vous pouvez invoquer la clause résolutoire pour manquement aux obligations du bail (jouissance paisible). Vous devrez assigner tous les colocataires solidaires, mais le juge peut ordonner l'expulsion uniquement du colocataire fautif si les autres colocataires prouvent qu'ils ne sont pas responsables des troubles et qu'ils ont tenté de les faire cesser.

Non. Seul le bailleur (propriétaire) peut demander l'expulsion d'un locataire ou colocataire. Si un colocataire ne supporte plus un autre colocataire, sa seule option est de quitter le logement lui-même (en respectant le préavis) ou de vous demander (à vous, bailleur) d'expulser le colocataire problématique. Vous n'êtes pas obligé d'accéder à cette demande si le colocataire visé paie son loyer et respecte le bail.

Si tous les colocataires partent sauf un (par exemple, A, B et C partent, D reste seul), le bail continue avec D seul. D reste solidaire des dettes de A, B et C accumulées pendant la durée du bail commun. D peut continuer à occuper le logement seul en payant le loyer total (1 800 euros), ou vous demander un avenant réduisant le loyer à une part individuelle. Vous n'êtes pas obligé d'accepter cet avenant. Si D ne paie que sa part (600 euros au lieu de 1 800 euros), vous pouvez activer la clause résolutoire pour les 1 200 euros manquants et expulser D.

Non. La sous-location nécessite l'accord écrit préalable du bailleur (article 8 de la loi du 6 juillet 1989). Si un colocataire sous-loue sa chambre sans votre accord, vous pouvez résilier le bail pour violation des obligations contractuelles et expulser tous les colocataires solidaires (+ le sous-locataire). Pour éviter cela, prévoyez une clause dans le bail interdisant formellement la sous-location ou l'exigeant votre accord préalable écrit pour toute sous-location.

Le dépôt de garantie ne peut être restitué qu'à la fin du bail, c'est-à-dire lorsque TOUS les colocataires ont quitté le logement et rendu les clés. Si A part en mars mais B et C restent jusqu'en décembre, le dépôt de garantie ne peut être restitué (en tout ou partie) qu'en décembre. A ne récupère sa part du dépôt de garantie qu'à ce moment-là, et uniquement si aucune dégradation ou dette n'est constatée. Les colocataires doivent se mettre d'accord entre eux sur la répartition du dépôt restitué (vous n'intervenez pas dans cette répartition interne).

Non, vous n'êtes pas obligé de fournir une quittance individuelle. Vous pouvez émettre une seule quittance globale au nom de tous les colocataires pour le montant total du loyer et des charges. Toutefois, si un colocataire vous demande une quittance individuelle mentionnant sa part de loyer payée, vous devez la lui fournir gratuitement. Cette quittance individuelle n'exonère pas le colocataire de sa solidarité pour la part des autres.

Conclusion : Anticiper Pour Éviter les Blocages

La colocation crée des situations juridiques complexes où les intérêts des colocataires, du bailleur, et parfois des garants s'entremêlent. Pour minimiser les risques et les complications :

Pour les bailleurs :

Stratégie en cas d'impayé partiel :

En moyenne, une procédure d'expulsion de colocataires solidaires coûte 3 000 à 5 000 euros et dure 12 à 18 mois. En anticipant et en agissant dès les premiers signes de défaillance, vous pouvez souvent trouver des solutions amiables plus rapides et moins coûteuses.

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