Le préfet a accordé le concours de la force publique et l'huissier vous a notifié la date d'expulsion. Le jour J approche : comment se déroule concrètement l'expulsion physique de votre locataire ? Qui intervient ? Combien de temps dure l'opération ? Que deviennent les biens laissés sur place ? Cette ultime étape, bien que parfois éprouvante, marque enfin la récupération effective de votre bien. Comprendre son déroulement vous permet de l'anticiper sereinement et d'éviter les erreurs qui pourraient compromettre l'opération au dernier moment.
Préparation et Notifications Avant le Jour J
L'avis d'expulsion au locataire
Une fois le concours de la force publique accordé, l'huissier fixe une date d'expulsion en coordination avec les services de police ou de gendarmerie. Le locataire doit être informé de cette date par signification d'un procès-verbal mentionnant :
- La date, l'heure et le lieu de l'expulsion (généralement entre 8h et 10h du matin)
- Le rappel du jugement d'expulsion et du commandement de quitter les lieux
- L'indication que le concours de la force publique a été accordé
- La mention que le locataire peut encore quitter volontairement avant cette date
- Les conséquences du refus de quitter (expulsion forcée, mise sous séquestre des biens à ses frais)
Cette notification intervient généralement 2 à 3 semaines avant la date prévue. Elle constitue l'ultime avertissement avant l'intervention physique.
Information du propriétaire
L'huissier contacte également le propriétaire (ou son représentant) pour l'informer de la date d'expulsion. Il lui demande :
- S'il souhaite être présent le jour J
- S'il a mandaté un artisan (serrurier, entreprise de nettoyage) pour intervenir immédiatement après
- Les coordonnées d'un garde-meubles si le volume de biens à mettre sous séquestre est important
- Une provision pour les frais d'expulsion et de séquestre (entre 1 500 et 4 000 € selon le cas)
Le propriétaire n'a aucune démarche à effectuer auprès de la préfecture ou de la police : l'huissier se charge de toutes les coordinations administratives.
Mobilisation des moyens
L'huissier organise la logistique de l'opération :
- Forces de l'ordre : 2 à 6 agents de police ou gendarmes selon la complexité (famille nombreuse, risque de résistance, accès difficile)
- Serrurier : Si le locataire refuse d'ouvrir ou est absent, un serrurier sera nécessaire pour ouvrir la porte sans la détruire
- Déménageurs : Si le logement contient beaucoup de biens, l'huissier fait appel à une entreprise de déménagement pour transporter les biens vers le garde-meubles
- Camion : Location d'un véhicule adapté au volume de biens à évacuer
Déroulement du Jour J : Chronologie Heure par Heure
7h30 - 8h30 : Arrivée et mise en place
L'huissier arrive sur les lieux accompagné des forces de l'ordre. Il vérifie la présence de tous les intervenants (serrurier si nécessaire, déménageurs le cas échéant). Le propriétaire, s'il est présent, se tient en retrait et n'intervient pas dans les opérations.
Les forces de l'ordre sécurisent le périmètre et s'assurent qu'aucun trouble à l'ordre public ne risque de se produire. En cas de rassemblement hostile (famille, voisins solidaires, associations de défense des locataires), les policiers gèrent la situation et protègent l'huissier.
8h30 - 9h : Sommation et entrée dans les lieux
Scénario 1 : Le locataire est présent et ouvre
L'huissier sonne à la porte et se présente avec les forces de l'ordre. Il somme une dernière fois le locataire de quitter volontairement les lieux. Si le locataire accepte d'ouvrir et de coopérer, l'expulsion se déroule de manière relativement apaisée :
- Le locataire et les occupants sont priés de sortir du logement immédiatement
- L'huissier leur accorde généralement 15 à 30 minutes pour rassembler quelques effets personnels essentiels (vêtements, papiers d'identité, médicaments, affaires de toilette)
- Les occupants quittent définitivement le logement sous la surveillance de la police
Scénario 2 : Le locataire refuse d'ouvrir ou s'est barricadé
Si le locataire refuse d'ouvrir malgré les sommations répétées, l'huissier demande au serrurier d'intervenir pour ouvrir la porte. Les forces de l'ordre sont autorisées à pénétrer dans le logement et à en faire sortir les occupants, y compris par la contrainte si nécessaire (mais sans violence excessive).
Dans de très rares cas (moins de 2% des expulsions), le locataire oppose une résistance physique violente. Les forces de l'ordre procèdent alors à l'interpellation et le locataire peut être placé en garde à vue pour outrage ou rébellion.
Scénario 3 : Le locataire est absent
Si personne ne répond malgré les sonneries et frappes répétées, l'huissier fait ouvrir la porte par le serrurier et pénètre dans le logement. Il constate si le logement est réellement vide d'occupants ou si le locataire se cache.
Si le logement est manifestement abandonné (aucun bien, compteurs coupés), l'opération est très rapide. Si des biens sont présents, l'huissier doit procéder à l'inventaire et à la mise sous séquestre même en l'absence du locataire.
9h - 12h : Inventaire et mise sous séquestre des biens
Une fois le logement vidé de ses occupants, l'huissier procède à l'inventaire exhaustif des biens mobiliers présents. Cette opération est minutieuse et essentielle pour éviter toute contestation ultérieure du locataire.
Établissement de l'inventaire :
L'huissier dresse un procès-verbal détaillé mentionnant :
- Chaque bien présent (meubles, électroménager, vêtements, vaisselle, effets personnels)
- La nature et l'état de chaque bien (neuf, bon état, usagé, dégradé)
- Une estimation sommaire de la valeur totale des biens
- Des photographies pour documenter l'inventaire
Selon le volume de biens, cette étape dure entre 1h et 4h. Un studio faiblement meublé nécessite 1h à 1h30, un appartement T3 avec mobilier complet peut nécessiter 3h à 4h.
Tri des biens :
L'huissier distingue trois catégories :
- Biens de valeur : Meubles en bon état, électroménager fonctionnel, vêtements récents, objets personnels à valeur sentimentale (photos, documents). Ces biens doivent obligatoirement être mis sous séquestre.
- Biens sans valeur marchande : Vieux meubles cassés, vaisselle ébréchée, vêtements très usagés. L'huissier peut les qualifier de "déchets abandonnés" et autoriser leur destruction immédiate si leur conservation coûterait plus cher que leur valeur.
- Déchets et ordures : Poubelles, détritus, aliments périmés. Ils sont jetés immédiatement.
Cette appréciation est subjective et peut être source de litige. L'huissier adopte généralement une approche prudente : en cas de doute sur la valeur d'un bien, il le met sous séquestre pour éviter une accusation de destruction de biens d'autrui.
Évacuation et transport vers le garde-meubles :
Les biens à conserver sont emballés et chargés dans un camion par les déménageurs. Ils sont transportés vers un garde-meubles sécurisé où ils seront stockés pendant 2 mois minimum. Le locataire sera informé par courrier recommandé du lieu de stockage et des modalités de récupération.
12h - 14h : Constat de l'état du logement
Une fois le logement entièrement vidé, l'huissier établit un état des lieux détaillé relevant toutes les dégradations éventuelles :
- Murs et plafonds (trous, peinture dégradée, traces d'humidité)
- Sols et revêtements (parquet abîmé, carrelage cassé, moquette tachée)
- Équipements (robinetterie cassée, radiateurs détériorés, serrures forcées)
- Propreté générale (état de saleté, odeurs, présence de nuisibles)
Cet état des lieux contradictoire en l'absence du locataire servira de base pour chiffrer les dégradations et réclamer leur indemnisation au locataire, en complément de la dette locative.
14h - 15h : Changement de serrure et remise des clés
Le serrurier change la serrure du logement pour empêcher toute réoccupation par l'ancien locataire. Une serrure de sécurité (norme A2P si possible) est recommandée dans les situations conflictuelles.
Les nouvelles clés sont remises au propriétaire (ou à son représentant) s'il est présent, sinon elles sont déposées en l'étude de l'huissier et le propriétaire est informé qu'il peut venir les récupérer.
L'huissier établit le procès-verbal final d'expulsion mentionnant :
- L'heure et les conditions de l'expulsion
- Les personnes présentes et évacuées
- L'inventaire des biens mis sous séquestre
- L'état du logement
- La remise des clés au propriétaire
Ce procès-verbal fait foi jusqu'à preuve du contraire et constitue la preuve de la récupération effective du logement.
Mise sous Séquestre des Biens : Règles et Coûts
Obligation légale de conservation
L'huissier ne peut pas jeter ou détruire les biens du locataire expulsé, sauf s'il s'agit manifestement de déchets sans valeur. L'article L. 433-1 du Code des procédures civiles d'exécution impose la mise sous séquestre des biens mobiliers pour une durée de 2 mois.
Pendant cette période, le locataire peut récupérer ses biens à tout moment en payant les frais de garde. Passé ce délai, si le locataire ne s'est pas manifesté, les biens peuvent être vendus aux enchères publiques.
Frais de mise sous séquestre
Les frais comprennent plusieurs postes qui s'additionnent :
| Poste de dépense | Studio (10-15 m³) | T2 (20-30 m³) | T3 (35-50 m³) |
|---|---|---|---|
| Inventaire par huissier (2-4h) | 250-350 € | 350-500 € | 500-700 € |
| Déménageurs + camion | 350-450 € | 500-700 € | 700-1 000 € |
| Emballage et protection | 50-100 € | 100-150 € | 150-250 € |
| Garde-meubles (2 mois) | 300-400 € | 500-700 € | 700-1 000 € |
| Assurance des biens stockés | 50-80 € | 80-120 € | 120-180 € |
| Total | 1 000-1 380 € | 1 530-2 170 € | 2 170-3 130 € |
Ces frais sont juridiquement à la charge du locataire et s'ajoutent à sa dette locative. Toutefois, ils doivent être avancés par le propriétaire. Dans la très grande majorité des cas (plus de 90%), le propriétaire ne récupérera jamais ces sommes, le locataire étant insolvable.
Sort des biens après 2 mois
Cas 1 : Le locataire récupère ses biens
Si le locataire se manifeste dans les 2 mois et règle les frais de garde, il peut récupérer ses biens. En pratique, cela concerne moins de 15% des cas, car peu de locataires expulsés ont les moyens de payer ces frais.
Cas 2 : Vente aux enchères
Après 2 mois sans nouvelle du locataire, l'huissier procède à la vente des biens aux enchères publiques. Le produit de la vente est affecté dans l'ordre suivant :
- Paiement des frais de garde et de vente
- Paiement de la dette locative due au propriétaire
- Le solde éventuel est consigné à la Caisse des Dépôts à disposition du locataire pendant 10 ans
Dans la réalité, les biens d'occasion d'un locataire expulsé ont peu de valeur marchande. Une vente aux enchères rapporte rarement plus de 10 à 30% de la valeur d'achat initiale des biens. Il est fréquent que le produit de la vente couvre à peine les frais de garde, sans apurer la dette locative.
Cas 3 : Abandon pur et simple
Si les biens sont de très faible valeur et que leur conservation coûterait plus cher qu'une vente potentielle ne rapporterait, l'huissier peut demander au juge de l'exécution l'autorisation de détruire les biens. Cette procédure reste rare et encadrée.
Coûts Totaux d'une Expulsion Physique
Le coût global de l'expulsion physique pour le propriétaire comprend tous les frais de la dernière phase de la procédure :
| Poste | Montant | Récupérable sur le locataire ? |
|---|---|---|
| Procès-verbal de constat (pré-expulsion) | 150-200 € | Oui (théoriquement) |
| Demande de concours de la force publique | 50-80 € | Oui (théoriquement) |
| Expulsion physique par huissier | 400-600 € | Oui (théoriquement) |
| Changement de serrure | 150-250 € | Non |
| Mise sous séquestre (selon volume) | 1 000-3 000 € | Oui (rarement récupéré) |
| État des lieux de sortie contradictoire | 150-200 € | Non |
| Nettoyage et remise en état du logement | 800-3 500 € | Partiellement (dépôt de garantie) |
| Total (hors remise en état) | 1 700-4 330 € | 10-20% récupérés en moyenne |
À ces frais s'ajoutent les loyers impayés cumulés pendant toute la procédure (généralement 12 à 24 mois d'impayés au moment de la récupération du bien), soit un préjudice global pouvant atteindre 20 000 à 40 000 € pour un loyer de 900 €/mois.
Cas Pratiques d'Expulsions Physiques
Cas n°1 : Expulsion sans incident, locataire coopératif
Contexte : M. Lambert, propriétaire à Rennes, obtient le concours de la force publique contre M. Moreau, locataire célibataire d'un studio meublé, accumulant 7 500 € d'impayés sur 14 mois.
Déroulement :
- 8h15 : Arrivée de l'huissier et de 2 policiers municipaux
- 8h25 : M. Moreau ouvre immédiatement et accepte de quitter. Il a déjà préparé un sac avec ses affaires essentielles
- 8h45 : M. Moreau quitte définitivement les lieux après avoir emporté ses vêtements et documents personnels
- 9h-10h30 : Inventaire rapide des meubles restants (lit, table, chaises, vaisselle de base). Valeur estimée : 400 €
- 10h30 : Décision de l'huissier : les meubles sont vétustes et ne valent pas le coût d'une mise sous séquestre. Ils sont qualifiés de "déchets abandonnés"
- 11h : M. Lambert récupère les clés. Intervention immédiate d'une société de nettoyage
Coût total pour M. Lambert :
- Frais d'huissier (expulsion) : 580 €
- Changement de serrure : 180 €
- Nettoyage du studio : 350 €
- Total : 1 110 € (aucun frais de garde-meubles)
Le logement est remis en location 2 semaines plus tard. Grâce à la coopération du locataire et à l'absence de mise sous séquestre, M. Lambert a minimisé ses frais d'expulsion.
Cas n°2 : Expulsion complexe, famille nombreuse et résistance
Contexte : Mme Petit, propriétaire à Strasbourg, obtient le concours contre Mme Faure, mère de 4 enfants mineurs, occupant un T4 avec 11 200 € d'impayés sur 18 mois.
Déroulement :
- 7h45 : Arrivée de l'huissier, 4 policiers, un serrurier et une équipe de déménageurs (3 personnes)
- 8h : Mme Faure refuse d'ouvrir et crie qu'elle ne partira pas. Une quinzaine de voisins et membres d'associations se rassemblent devant l'immeuble
- 8h30 : Après négociations et sommations répétées, le serrurier ouvre la porte. La police entre et fait sortir Mme Faure et ses 4 enfants
- 9h-14h : Inventaire exhaustif d'un appartement entièrement meublé (environ 45 m³ de biens). L'opération est ralentie par l'état de désordre du logement
- 14h-17h : Chargement et transport vers le garde-meubles de tous les biens (meubles, électroménager, affaires personnelles, jouets des enfants)
- 17h : Changement de serrure et remise des clés à Mme Petit
Coût total pour Mme Petit :
- Frais d'huissier (expulsion + inventaire 5h) : 1 450 €
- Déménageurs + camion : 1 200 €
- Garde-meubles (2 mois, 45 m³) : 950 €
- Changement de serrure : 220 €
- Remise en état du logement (dégradations importantes) : 3 800 €
- Total : 7 620 €
Après 2 mois, Mme Faure ne s'est pas manifestée pour récupérer ses biens. La vente aux enchères a rapporté 1 850 €, couvrant à peine 50% des frais de garde. Mme Petit a perdu au total : 11 200 € (impayés) + 5 770 € (frais nets après vente) - 1 100 € (dépôt de garantie) = 15 870 € de perte nette.
Cas n°3 : Expulsion et découverte d'un logement insalubre
Contexte : M. Garcia, propriétaire à Lille, fait expulser M. Durand d'un T2 avec 8 900 € d'impayés. M. Durand est absent le jour de l'expulsion.
Découverte : Lorsque l'huissier entre dans le logement, il découvre un état catastrophique :
- Infiltrations d'eau massives ayant endommagé parquet et plafonds
- Présence de moisissures sur les murs
- Invasion de rats et de cafards
- Accumulation de déchets (syndrome de Diogène)
- Équipements électriques et sanitaires détruits
L'huissier fait intervenir immédiatement une entreprise spécialisée en décontamination et évacuation de déchets. Les quelques meubles encore présents sont tellement infestés qu'ils doivent être détruits.
Coût total pour M. Garcia :
- Frais d'huissier : 750 €
- Évacuation de déchets et décontamination : 2 400 €
- Dératisation et désinsectisation : 850 €
- Travaux de remise en état (parquet, plafonds, plomberie, électricité) : 12 500 €
- Total : 16 500 € de frais de récupération
Le logement est resté inhabitable pendant 3 mois pendant les travaux. M. Garcia a perdu au total : 8 900 € (impayés) + 16 500 € (remise en état) + 2 700 € (3 mois de loyers non perçus pendant travaux) = 28 100 €. Son assurance PNO (Propriétaire Non Occupant) a pris en charge 40% des travaux, ramenant sa perte à environ 21 000 €.