Vous avez obtenu un jugement d'expulsion en septembre, mais votre locataire ne paie toujours pas et occupe votre bien. Le 1er novembre arrive, et avec lui la trêve hivernale qui suspend toute expulsion jusqu'au 31 mars. Cette période de 5 mois peut sembler insurmontable pour un propriétaire déjà dans une situation financière difficile. Pourtant, la loi prévoit 5 exceptions précises qui permettent d'expulser même pendant la trêve hivernale. Comprendre ces exceptions et savoir les invoquer correctement peut vous permettre de récupérer votre bien 5 mois plus tôt et d'éviter jusqu'à 10 000 euros de loyers impayés supplémentaires.

Qu'est-ce que la Trêve Hivernale ?

La trêve hivernale est une période de suspension des expulsions locatives instituée par la loi du 31 mai 1990 (loi Besson). Chaque année, du 1er novembre au 31 mars inclus, aucune expulsion de locataire ne peut avoir lieu, même si un jugement d'expulsion définitif a été rendu et que le commandement de quitter les lieux a été délivré.

Fondement juridique et objectif

La trêve hivernale est codifiée à l'article L. 412-6 du Code des procédures civiles d'exécution. Son objectif est de protéger les occupants contre les conséquences d'une expulsion pendant la période froide de l'année, considérant qu'une expulsion hivernale présente des risques accrus pour la santé et la sécurité des personnes.

Cette protection s'applique automatiquement : le juge n'a pas besoin de l'ordonner, et le locataire n'a pas à en faire la demande. Dès le 1er novembre, toute procédure d'expulsion en cours est suspendue jusqu'au 31 mars minuit.

Impact sur les propriétaires

Pour les propriétaires, la trêve hivernale représente un double coût financier :

Face à ces enjeux, connaître les exceptions à la trêve hivernale devient crucial pour limiter les pertes.

Les 5 Exceptions à la Trêve Hivernale

L'article L. 412-6 du Code des procédures civiles d'exécution prévoit 5 situations dans lesquelles l'expulsion peut avoir lieu même pendant la trêve hivernale. Ces exceptions sont d'interprétation stricte par les tribunaux.

Exception 1 : Relogement assuré correspondant aux besoins de la famille

Si vous pouvez prouver que le locataire dispose d'un logement de remplacement adapté à ses besoins, l'expulsion peut avoir lieu pendant la trêve.

Conditions cumulatives :

Preuves à apporter :

Cas pratique : En octobre 2024, un propriétaire parisien a obtenu la levée de la trêve hivernale en démontrant que sa locataire (célibataire sans enfant) avait signé un bail pour un T2 de 40m² dans le même arrondissement, avec un loyer inférieur de 15% à son loyer actuel. L'huissier a pu procéder à l'expulsion le 15 novembre 2024 au lieu d'attendre le 1er avril 2025.

Exception 2 : Locaux impropres à l'habitation et déclarés insalubres ou dangereux

Si le logement fait l'objet d'un arrêté préfectoral d'insalubrité ou de péril, l'expulsion peut avoir lieu immédiatement, y compris pendant la trêve hivernale.

Types d'arrêtés permettant l'exception :

Procédure :

  1. Obtention de l'arrêté préfectoral auprès de l'ARS (Agence Régionale de Santé) ou de la mairie
  2. L'arrêté fixe un délai pour l'évacuation des occupants (généralement 1 à 3 mois)
  3. Si les occupants ne partent pas volontairement, l'huissier peut procéder à l'expulsion sans attendre la fin de la trêve
  4. La préfecture doit assurer le relogement des occupants (hébergement d'urgence si nécessaire)

Attention : Si vous êtes propriétaire d'un logement insalubre, vous ne pourrez pas récupérer de loyers pendant toute la période d'insalubrité, et vous devrez effectuer les travaux de mise en conformité avant de pouvoir relouer. Cette exception protège donc davantage les occupants que les propriétaires.

Exception 3 : Occupation sans droit ni titre (squat)

Si le locataire occupe le logement sans aucun droit (bail expiré et non renouvelé, squat pur et simple, sous-location illégale sans accord du propriétaire), la trêve hivernale ne s'applique pas.

Situations concernées :

Critère essentiel : L'occupation doit être manifestement sans droit ni titre dès l'origine ou depuis l'expiration du titre. Si un bail de 3 ans a existé et que le locataire ne paie plus après 2 ans, il a toujours un titre : l'exception ne s'applique pas.

Procédure simplifiée pour les squats :

  1. Constatation du squat par huissier dans les 48 heures suivant la découverte (loi anti-squat d'octobre 2023)
  2. Dépôt de plainte pénale pour violation de domicile
  3. Demande de référé d'urgence au tribunal judiciaire (article 835 CPC)
  4. Obtention d'une ordonnance d'expulsion en 5 à 15 jours
  5. Expulsion immédiate par huissier avec concours de la force publique si nécessaire

Délais réels : Pour un squat constaté le 15 décembre, l'expulsion peut intervenir dès le 10 janvier, sans attendre le 1er avril.

Jurisprudence récente (TJ Paris, 8 janvier 2025) : La Cour a confirmé l'expulsion en pleine trêve hivernale d'un occupant dont le bail mobilité de 10 mois (octobre 2023 à juillet 2024) était expiré depuis 6 mois. La Cour a considéré que l'occupant n'avait plus aucun titre depuis août 2024.

Exception 4 : Logements situés dans des immeubles ayant fait l'objet d'un arrêté de péril

Cette exception est similaire à l'exception 2 mais concerne l'ensemble d'un immeuble (et non un logement individuel). Si un arrêté de péril vise tout l'immeuble, tous les occupants peuvent être expulsés pendant la trêve, y compris ceux dont les logements individuels ne présentent pas de danger particulier.

Situations typiques :

Obligation de relogement : Dans ce cas, le propriétaire ou la collectivité doit proposer un relogement aux occupants, sauf s'ils disposent de ressources suffisantes pour se reloger eux-mêmes.

Exception 5 : Domiciliation dans un logement spécifique (résidences temporaires)

Les logements destinés à l'occupation temporaire ne bénéficient pas de la protection de la trêve hivernale. Cette exception vise principalement les structures d'hébergement temporaire et certains logements meublés.

Logements concernés :

Attention aux locations meublées classiques : Un bail meublé d'un an renouvelable bénéficie de la protection de la trêve hivernale. Seules les locations de courte durée (moins de 90 jours) pour tourisme ou mobilité professionnelle peuvent échapper à la trêve si le bail le précise clairement.

Cas limite - Location Airbnb prolongée : Si vous louez votre bien en Airbnb pour des séjours de 1 à 4 semaines et qu'un voyageur refuse de partir après son séjour, vous pouvez invoquer l'exception de l'occupation sans droit ni titre (exception 3) plutôt que celle-ci.

Comment Faire Valoir Une Exception

Invoquer une exception à la trêve hivernale nécessite une procédure juridique spécifique. Vous ne pouvez pas simplement demander à l'huissier de procéder à l'expulsion en affirmant qu'une exception s'applique.

Procédure judiciaire obligatoire

Etape 1 : Requête en référé d'urgence

Vous devez saisir le juge de l'exécution (JEX) par une requête en référé demandant l'autorisation d'expulser pendant la trêve hivernale. Cette requête doit être déposée au tribunal judiciaire du lieu de situation du bien.

Documents à joindre obligatoirement :

Etape 2 : Audience de référé

L'audience a généralement lieu 10 à 20 jours après le dépôt de la requête. Le locataire est convoqué et peut présenter ses arguments. La présence d'un avocat est fortement recommandée pour les deux parties.

Arguments à développer :

Etape 3 : Ordonnance du juge

Si le juge estime que l'exception est caractérisée, il rend une ordonnance autorisant l'expulsion pendant la trêve hivernale. Cette ordonnance précise :

Délai total : Entre le dépôt de la requête et l'expulsion effective, comptez 1 à 2 mois. Vous gagnez donc 3 à 4 mois par rapport à une attente jusqu'au 1er avril.

Coûts de la procédure

Poste de dépense Montant Détail
Avocat (requête en référé) 800 - 1 500 € Rédaction requête, présence audience, suivi
Huissier (signification ordonnance) 150 - 200 € Délivrance de l'ordonnance au locataire
Huissier (expulsion) 500 - 800 € Procès-verbal d'expulsion, déménagement si nécessaire
Total 1 450 - 2 500 € Investissement pour récupérer votre bien 3-4 mois plus tôt

Analyse de rentabilité

Exemple concret : Vous louez un T3 à Paris 15e pour 1 800 euros/mois. Votre locataire ne paie plus depuis 8 mois. Vous avez obtenu un jugement d'expulsion en septembre 2024, et le commandement de quitter les lieux a été délivré le 15 octobre. Le locataire refuse de partir.

Scénario 1 : Attente de la fin de la trêve

Scénario 2 : Invocation de l'exception (relogement assuré)

Dans cet exemple, malgré un coût de procédure 4 fois supérieur, l'invocation de l'exception permet d'économiser 4 800 euros et de récupérer le bien 3 mois et demi plus tôt pour le remettre en location.

Erreurs à Eviter

Erreur 1 : Confondre délais de grâce et trêve hivernale

Les délais de grâce accordés par le juge au moment du jugement d'expulsion (généralement 3 à 24 mois) ne sont pas concernés par les exceptions à la trêve hivernale. Ces délais doivent impérativement être respectés, même si le logement est insalubre ou squatté.

Erreur 2 : Procéder à une expulsion sans ordonnance judiciaire

Même si vous êtes certain qu'une exception s'applique (squat évident, arrêté de péril en main), vous ne pouvez pas demander à l'huissier de procéder à l'expulsion pendant la trêve sans ordonnance du juge. L'huissier refusera, et vous perdrez du temps.

Erreur 3 : Invoquer une situation personnelle du propriétaire

Le fait que vous ayez besoin de récupérer le logement pour vous-même ou un proche, que vous soyez dans une situation financière difficile, ou que vous deviez vendre le bien ne constitue PAS une exception à la trêve hivernale. Seules les 5 exceptions légales listées ci-dessus sont recevables.

Erreur 4 : Négliger la preuve du relogement

Pour l'exception 1 (relogement assuré), une simple attestation du locataire disant qu'il a trouvé un logement ne suffit pas. Vous devez apporter la preuve matérielle : bail signé avec date d'entrée, confirmation du nouveau propriétaire, descriptif du logement. Sans ces preuves tangibles, le juge rejettera votre requête.

FAQ : Vos questions les plus fréquentes

Non. La trêve hivernale ne concerne que les locaux d'habitation (résidences principales et secondaires). Les baux commerciaux ne bénéficient pas de cette protection. Un commerçant peut donc être expulsé de son local commercial entre le 1er novembre et le 31 mars si un jugement d'expulsion a été rendu.

Si le locataire trouve un logement et signe un bail pendant la trêve (par exemple en janvier), vous pouvez immédiatement saisir le juge de l'exécution pour demander l'autorisation d'expulser avant le 31 mars en invoquant l'exception du relogement assuré. Le juge vérifiera que le nouveau logement correspond aux besoins de la famille et autorisera l'expulsion si les conditions sont remplies.

Les dégradations, même graves, ne constituent pas en elles-mêmes une exception à la trêve hivernale. Toutefois, si les dégradations sont telles qu'elles rendent le logement dangereux ou insalubre, vous pouvez demander un arrêté de péril ou d'insalubrité à la mairie ou à la préfecture. Une fois l'arrêté obtenu, vous pourrez invoquer l'exception 2 et demander l'expulsion immédiate.

Cela dépend. Si la sous-location est légale (autorisée par le propriétaire et mentionnée dans le bail principal), le sous-locataire bénéficie de la protection de la trêve hivernale. En revanche, si la sous-location est illégale (non autorisée), le sous-locataire est considéré comme occupant sans droit ni titre (exception 3) et peut être expulsé pendant la trêve.

En référé d'urgence, les délais sont généralement de 10 à 30 jours entre le dépôt de la requête et l'audience, puis 5 à 15 jours pour obtenir l'ordonnance après l'audience. Au total, comptez 3 à 6 semaines. Si vous déposez votre requête début novembre, vous pouvez espérer une expulsion effective mi-décembre à mi-janvier, selon la charge du tribunal.

Oui, le locataire peut faire appel de l'ordonnance du juge de l'exécution devant le premier président de la cour d'appel. Cet appel doit être formé dans les 15 jours suivant la signification de l'ordonnance. L'appel n'est pas suspensif : en principe, vous pouvez procéder à l'expulsion même si un appel est en cours, sauf si le premier président ordonne la suspension de l'exécution.

Si vous avez obtenu une ordonnance du juge autorisant l'expulsion pendant la trêve hivernale et que le préfet refuse le concours de la force publique, vous pouvez saisir le tribunal administratif en référé liberté (article L. 521-2 du Code de justice administrative) pour obtenir l'annulation du refus préfectoral. Cette procédure est rapide (48 à 72 heures) mais nécessite de démontrer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale (le droit de propriété).

Cas Pratiques Récents (2024-2025)

Cas 1 : Squat d'une résidence secondaire (Marseille, novembre 2024)

Situation : Propriétaire d'une résidence secondaire à Marseille, non occupée depuis 6 mois. Découverte d'un squat le 5 novembre 2024 (4 personnes sans bail ni autorisation).

Procédure :

Résultat : Expulsion obtenue en 20 jours malgré la trêve hivernale. Coût total : 2 450 euros. Economie de 5 mois d'occupation illégale.

Cas 2 : Relogement dans le parc social (Lyon, décembre 2024)

Situation : Locataire d'un T4 à Lyon avec 12 mois d'impayés. Jugement d'expulsion obtenu en septembre 2024, commandement de quitter les lieux le 10 octobre. Le 15 novembre, le propriétaire apprend que la locataire a obtenu un logement social avec entrée prévue le 1er janvier 2025.

Procédure :

Résultat : Expulsion obtenue 2 mois et demi avant la fin de la trêve (1er avril). Economie : 2,5 mois de loyers (4 500 euros pour un loyer de 1 800 euros/mois). Coût procédure : 1 650 euros. Gain net : 2 850 euros.

Cas 3 : Arrêté de péril (Paris, janvier 2025)

Situation : Immeuble de 8 logements à Paris 18e. Fissures importantes détectées en décembre 2024 suite à un dégât des eaux. Le syndic fait intervenir un bureau d'études qui conclut à un risque d'effondrement partiel.

Procédure :

Résultat : Expulsion de tous les occupants en pleine trêve hivernale. La mairie a assuré le relogement d'urgence des 2 familles expulsées. Les travaux de consolidation ont pu commencer fin janvier au lieu d'attendre avril, évitant une aggravation des dégâts.

Stratégies Pour Anticiper la Trêve Hivernale

Stratégie 1 : Planifier la procédure d'expulsion pour éviter la trêve

La meilleure stratégie reste d'éviter que votre procédure d'expulsion se retrouve bloquée par la trêve hivernale. Pour cela, il faut bien calibrer le timing :

Timeline idéale :

Si le premier impayé intervient en juin-juillet, vous risquez d'être bloqué par la trêve. Il faut alors envisager des procédures accélérées (référé) ou attendre le printemps.

Stratégie 2 : Documenter systématiquement le comportement du locataire

Si vous anticipez que votre locataire pourrait relever d'une exception à la trêve (dégradations, troubles de voisinage), documentez systématiquement :

Ces preuves seront essentielles si vous devez demander un arrêté d'insalubrité ou de péril pour invoquer l'exception 2.

Stratégie 3 : Surveiller les attributions de logements sociaux

Si votre locataire est connu des services sociaux et qu'il a déposé une demande de logement social, restez en contact avec les services du logement de votre ville. Dès qu'un logement est attribué à votre locataire, vous pourrez invoquer l'exception 1 (relogement assuré) et accélérer l'expulsion.

Conclusion : Quand Invoquer Une Exception ?

Les exceptions à la trêve hivernale sont des outils juridiques puissants mais complexes à manier. Voici les critères pour décider si vous devez tenter d'invoquer une exception :

Invoquez une exception si :

Attendez la fin de la trêve si :

Dans tous les cas, une consultation juridique avec un avocat spécialisé en droit immobilier est recommandée avant de lancer une procédure de référé pour lever la trêve hivernale. Un diagnostic précis de votre situation et des chances de succès vous permettra de prendre la meilleure décision.

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